Comme l'écrivait l’un des membres du conseil d'administration de l’April : « C’est souvent compliqué de « donner à voir après » comment l’April a contribué. Difficile aussi d'évaluer « l’influence » réelle de nos plaidoyers, mais, là, quoi qu'il en soit, c'est une bonne illustration de ce que l’April fait et peut faire ».
En tant que présidente de l'April, je vais donc essayer de vous « donner à voir » comment l’April a œuvré cette fois !
Tout commence en 2021 (ouais… il y a quasiment deux ans), lorsque le projet de loi visant à « Encourager l’usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à Internet » (mais que c'est long comme nom de projet !) est discuté dans l’une des chambres parlementaires.
Le 12 janvier 2022, le sujet est débattu en commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, puis envoyé à l'ensemble des députés.
L’association est déjà en ébullition !! Des courriels sont échangés sur la liste de travail Atelier de l’April consacrée aux dossiers institutionnels, un pad est créé et des propositions sont faites, discutées, améliorées, rejetées. Étienne, notre chargé de mission affaires publiques et Frédéric, notre délégué général, lisent des quantités de textes (projet de loi en entier ; analyses faites par d'autres associations, journalistes ou sites). Il faut vérifier que rien n’entrave l'utilisation future des logiciels libres. Ils ne sont sans doute pas les seuls à s’atteler à l'exercice…
Premières questions et inquiétudes :
- Quid de la possibilité de vendre et acheter du matériel nu dans ce cadre juridique ?
- Risque de renforcer la pratique de la vente forcée… ?
- Opportunité pour pousser le principe de la clef d'activation pour choisir/refuser un système d'exploitation ?
- Autre point de réflexion : la possibilité pour les personnes qui acquièrent un équipement de désinstaller le dispositif-logiciel de contrôle parental qui risque d'être imposé par la loi ?
L’April contacte des députés le 14 janvier avec une proposition d’amendement pour garantir la liberté de désinstaller le logiciel de contrôle parental (afin de rester maître de son informatique !). Le 18 janvier, notre proposition d'amendement n'ayant pas été reprise, nous nous tournons donc vers le Sénat…
L’April fait parvenir la même proposition d’amendements aux membres de la commission des affaires économiques (qui doivent se réunir le 26 janvier) puis aux autres sénatrices et sénateurs (les débats en séance publique commencent le 9 février).
Le 21 janvier, avant la première date limite, Étienne envoie sa première salve de courriels aux sénatrices et sénateurs membres de la commission avec deux propositions d’amendements : garantir la liberté de désinstaller et préserver la vente d'équipement sans système d’exploitation. Il passe également du temps au téléphone avec une membre de l’équipe du rapporteur, la petite veinarde !
Le 26 janvier, la commission des affaires économiques se réunit pour débattre, mais aucune de nos propositions d’amendements n'est discutée (gggrrrr…!!!!)
Qu’à cela ne tienne, (on est obstiné à l'April) des propositions formalisées d'amendements sont envoyées dans la foulée à des parlementaires, dès le 27 janvier, notamment celles et ceux qui avaient participé aux débats sur la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, avec qui l’April est restée en contact, et aux secrétariats de groupes.
En février, Étienne est contacté par un administrateur du Sénat pour discuter des propositions faites, ce dernier a lui-même été contacté par plusieurs groupes et ne serait pas surpris que ces propositions se retrouvent en amendements.
Les 9/10 février, effectivement, les propositions de l’April ont bien été reprises dans pas moins de treize amendements.
L’amendement 2 (mais pas le 5) est adopté : la désinstallation doit se faire sans surcoût. Victoire, première danse de la joie !
Les amendements 1, 4, 7 sont refusés alors que le 10 est adopté introduisant un doute effroyable :
« Le dispositif prévu au premier alinéa ne s’applique pas aux équipements terminaux à usage professionnel mis sur le marché sans être équipés de systèmes d’exploitation. »
Qu’en est-il des équipements terminaux mis sur le marché pour les particuliers sans être équipés de système d’exploitation ? Le grand public va-t-il donc être privé de la possibilité d'acheter du matériel nu ?
Sur la liste atelier de l’April, ça discute, ça râle : « Qui veulent-ils contrôler au final ? Les parents ou les enfants ? Prennent-ils les adultes pour des irresponsables ? Voire des imbéciles irresponsables ? »
La proposition de loi passe avec l’affreux amendement 10 et quitte le Sénat. Direction la commission mixte paritaire (CMP) composée de parlementaires des deux chambres. On croise les doigts (et les orteils, et ceux de nos voisins, en fait tout ce qui peut être croisé !).
Le 17 février, Étienne envoie un message au groupe atelier qui nous remplit de joie :
« La CMP s’est réunie ce matin pour trouver un texte de compromis entre les textes du Sénat et de l’Assemblée nationale. Visiblement, nous avons été entendus, la mention « à usage professionnel » a été supprimée de l'alinéa 7 introduit au Sénat. L’ensemble des équipements mis sur le marché sans système d'exploitation est donc exclu du champ d’application de la loi. »
Victoire ! Deuxième danse de la joie ! Pompons sortis ! Mais surtout gros soulagement !! On l’a échappé belle, nous les nombreux geeks qui achetons des ordis sans OS et qui installons celui que notre cœur aime ou que notre tête préfère !
À noter quand même que les délais d'échange entre les deux chambres ont été particulièrement courts, deux mois, c'est du rapide !
Fin février, le texte est adopté à l’Assemblée Nationale (le 22), au Sénat (le 24), puis promulgué le 2 mars et le gouvernement le notifie à la Commission européenne. Rendez-vous en mai 2022 pour savoir si cette dernière fera des commentaires pouvant remettre en cause l’entrée en vigueur du texte.
Octobre 2022 (soit 6 mois plus tard), une consultation publique est ouverte pour permettre aux personnes intéressées de commenter le projet de décret qui va permettre de faire appliquer la loi. Une mauvaise surprise est malheureusement insérée dans le texte… qui change le sens de la loi ! L’April retourne au combat !
Nouvel échange de courriels entre Étienne (il est tenace !) et les personnes concernées :
« Le terme « désactivation » devrait, selon nous, être remplacé par le terme « désinstallation ». En effet, l’alinéa 4 de l'article 1-I de la loi dispose que « l’activation, l’utilisation et, le cas échéant, la désinstallation de ce dispositif sont permises sans surcoût pour l’utilisateur ». Techniquement, la garantie de pouvoir désinstaller le dispositif garantit des droits plus forts aux utilisateurs que la simple possibilité de désactiver le logiciel, qui peut, le cas échéant, rester installé sur sa machine. »
Fin octobre, le nouveau décret est notifié à la Commission européenne… tel que /o.
Dernière chance, Étienne contacte une personne au ministère, l’ancien rapporteur de l’Assemblée nationale ainsi que d’autres, mais, finalement, cela reste en l’état vu que le 13 juillet 2023 le décret de la loi a été publié au Journal officiel.
Ce combat se conclut par une victoire, légèrement mitigée certes, mais victoire quand même !
À chaque instant, il faut être vigilant, vérifier que sous le couvert de projets de loi anodins des menaces n'émergent pas. Merci à toutes les Apriliennes et à tous les Apriliens qui ont participé à ces échanges et qui ont suivi toute cette aventure législative !
Merci à celles et ceux qui ont tout lu jusqu'au bout.
Si réfléchir ou agir face à ces risques, trop fréquents, vous intéresse, n'hésitez pas à adhérer à l'association, condition préalable pour vous inscrire au groupe Atelier (l’une des rares listes de l’April réservées aux membres pour des raisons de confidentialité).
Bonnes journée/soirée/semaine/année/vie !(au choix !)
Aller plus loin
- Légifrance (24 clics)
- Dossier législatif au sénat (11 clics)
- Sénat, dépôt des amendements (12 clics)
- Communiqué de l'April suite aux travaux de la commission mixte paritaire (25 clics)
- Actu de l'April sur ses propositions d'amendement lors des débats au Sénat (26 clics)
- Communiqué de l'April suite à la publication du décret (24 clics)
- Liens et les détails de ces amendements (26 clics)
- Vente forcée (30 clics)
- Clef d'activation (30 clics)
- Adhérer à l'April (29 clics)
# merci pour le poisson
Posté par orfenor . Évalué à 6.
Merci pour le temps passé à rédiger cette dépêche facile à lire et joyeuse malgré tout!
[^] # Re: merci pour le poisson
Posté par Xanatos . Évalué à 6.
Oui, merci de mener des combats pour les communs.
J'aime beaucoup le format de cette dépêche, c'est facile à lire, on descend doucement dans le détail; j'ai en mémoire les combats de LQDN et au final on ne sait jamais si c'est un coup d'épée dans l'eau ou si des avancées en ressortent; c'est très positif.
Tellement vrai, à tous les niveaux de la vie.
Ben oui, faut pas être un lapereau de 6 semaines.
Suivre le flux des commentaires
Note : les commentaires appartiennent à celles et ceux qui les ont postés. Nous n’en sommes pas responsables.